Quelques extraits du livre de Latifa Bennari, "pédophilie, prévenir pour protéger". Je poste d'abord les extraits qui précèdent les témoignages de pédophiles passifs qui seront aussi postés prochainement. Je commenterai ces extraits juste après.
Lorsque j'ai commencé à parler autour de moi de donner la parole à certains pédophiles, j'ai suscité consternation et incompréhension. Mais la majorité des victimes a compris rapidement le sens de ma démarche.
Pour comprendre, il convient d'abord de réflechir. Or le traitement médiatique récent a beaucoup nui à la reflexion, en mettant en avant des cas terribles et spectaculaires.
Ce traitement volontiers sensasionnaliste des affaires dites de pédophilie renvoie à l'appétit de scandale si répandu dans nos sociétés. En un sens, ces affaires font vraiment celles de certains journaux en quête d'un tirage ou audimat maximal. Le pédophile violeur rend ainsi un fier service à ce type de presse.
Comprendre la pédophilie pour prévenir le passage à l'acte, c'est le cauchemar des rédacteurs en chef qui n'attendent que le prochain drame pour faire les gros titres. On assiste à une véritable exploitation des conséquences dramatiques pour les victimes, sans la moindre recherche qui pourrait permettre de comprendre et d'empêcher à nouveau de tels drames.
Les pédophiles sont avant tout des êtres humains, avec les mêmes besoins fondamentaux que les autres, la reconnaissance de leur droit à l'expression et une considération minimale, en tant qu'un individu.
Au nom de quoi les priver de ces droits, surtout dans la mesure où la meilleure façon de comprendre la genèse de leurs attirances est encore d'écouter ce qu'ils ont à nous dire?
Mieux comprendre la pédophilie, c'est mieux lutter contre ses conséquences, c'est être en mesure d'en protéger plus efficacement les enfants, c'est prendre en compte les évènements susceptibles de donner naissance à ce désir et apporter des réponses précoces pour aider les jeunes personnes à risque (on ne devient pas pédophile à quarante ans).
Qu'est-ce donc qu'un pédophile? La question peut paraître saugrenue, pourtant je pense indispensable de la poser et d'y répondre, tant sont grands les malentus. Un pédophile est une personne attirées sexuellement par les enfants.
Le terme pédophilie renvoie en effet à une attirance sexuelle, relativement stable et fixée , et non aux actes susceptibles d'en découler. Il est donc essentiel de poser cette distinction entre attirances et actes.
Un pédophile n'est pas nécessairement passé à l'acte . Pour désigner une personne ayant eu des relations sexuelles avec des enfants, certains spécialistes ont proposé d'utiliser le terme de pédosexuel. Un pédophile n'est pas nécessairement un pédosexuel et un pédosexuel n'est pas nécessairement un pédophile.
En effet certaines personnes en viennent à agresser sexuellement des enfants sans être attirées par les enfants en général : il peut alors s'agir d'une impulsion subite aux causes variées (alcool, drogue, détresse affective et/ou sexuelle, pulsions violentes...) ou d'une sexualité de structuration sadique (où l'âge des personnes violées n'est déterminant qu'en tant qu'élément croissant le contraste entre la puissance du violeur et la faiblesse de la victime).
Il convient aussi de dénoncer l'usage abusif qui est fait du terme pédophilie pour désigner des situations mettant en des adolescents. La pédophilie désigne l'attirance sexuelle pour les individus impubères. Lorsque les attirances sexuelles d'une personne portent sur les adolescents, on parle alors d'hébéphilie. Bien sûr la frontière n'est pas toujours étanche entre pédophilie et hébéphilie, mais il s'en faut de beaucoup que tous les pédophiles soient des hébéphiles et à l'inverse, les hébéphiles des pédophiles.
Je condamne bien évidemment le passage à l'acte pédosexuel. Mais au nom de quoi condamner des individus sexuellement attirés par les enfants qui n'en ont jamais touché un seul? Au nom de quoi les priver de leur droit à s'exprimer et à être écouté? Mon expérience m'a convaincue que l'écoute de ceux que j'appelle les pédophiles abstinents et passifs est véritablement une des clefs de voûte à la prévention de la maltraitance sexuelle.
Or pour l'instant le profil du criminel sexuel médiatisé est généralisé à tous les pédophiles, y compris à ceux qui ne sont jamais passés à l'acte. Ces derniers n'ayant jamais pu jusqu'à l'heure actuelle s'exprimer ouvertement, se retrouvent mêlés publiquement à une violence dans laquelle ils ne reconnaissent pas.
Cette vision réductrice et disqualifiante en a plongé plusieurs dans un profond désespoir, menant certains au suicide, déstabilisant d'autres jusqu'au passage à l'acte involontaire et incontrôlé.
Mon expérience me permet d'affirmer que l'interprétation et la description de leurs tendances sont souvent partielles voir erronées, ce qui exaspère au plus haut point ces pédophiles. Ces derniers sont en effet souvent excédés par l'étiquette de pervers ou de transgresseurs qui leur est systématiquement appliquée.
Pour que davantage de pédophiles frappent à la porte des praticiens, il faudrait déjà que ces derniers affichent un minimum de compétences et de connaissances dans ce domaine. Beaucoup, pour justifier leur dogmatisme, posent comme principe que tous les pédophiles sont des être sournois et manipulateurs. Je voudrais qu'ils m'expliquent dans ce cas comment ils espèrent établir une relation thérapeutique alors que d'emblée le minimum de confiance fait défaut.
Certains pédophiles sont attirés exclusivement par les petites filles, d'autres exclusivement par les petits garçons, d'autres encore par les enfants des deux sexes, avec ou non une préférence pour l'un ou l'autre. Sur internet s'est répandue une terminologie qui distingue boylovers et girlovers, souvent abrégés BL et GL. Il faut toutefois conserver à l'esprit que le concept de boylover inclut autant les pédophiles homosexuels que les pédérastes (hébéphiles homosexuels).
La pédophilie ne s'exprime pas de manière identique pour tous les pédophiles. Certains pédophiles sont attirés uniquement par des enfants appartenant à des tranches d'âges bien précises, d'autres par des enfants présentants telles ou telles caractéristiques (type de cheveux, traits de visage, constitution physique...).
J'ai constaté en outre que la présence d'attirances ponctuelles doit être un phénomène beaucoup plus répandu qu'on pourrait le croire ; cette présence d'attirances ponctuelles n'implique pas pour autant que les personnes concernées soient pédophiles, car la pédophilie suppose la fixation et le caractère récurrent des fantasmes sexuels.
Le fait que le terme de pédophilie désigne une attirance sexuelle tend à faire oublier que cette attirance se double, pas toujours mais fréquemment, d'une attirance affective. Il existe ainsi beaucoup de pédophile amoureux. C'est précisément parce qu'ils aiment les enfants que certains pédophiles abstinents ont fait le choix de ne pas passer à l'acte.
Au lieu de nier la possibilité de tels sentiments, comme s'acharnent à le faire certains protecteurs de l'enfance, il serait bon, je crois, de s'appuyer sur leur existence pour aider ces pédophiles aimants dans leur décision de protéger les enfants.
J'appelle pédophiles abstinents, ceux qui ont fait le choix assumé de ne pas passé à l'acte. Ce choix peut résulter de différentes raisons : condamnation morale du passage à l'acte, choix pragmatique de ne pas exposer l'enfant aux conséquences possibles d'une relation pédosexuelle même consentante (relecture rétrospective, répression sociale, dramatisation excessive dans le cadre d'un procès, etc...), refus d'imposer ses désirs à un enfant aimé...
Ceux que j'appelle pédophiles passifs sont ceux pour lesquels l'absence de passage à l'acte n'est pas le fruit d'une décision assumée mais le résultat de plusieurs facteurs indépendants de leur volonté, telles des inhibitions relationnelles majeures, la peur de la prison ou celle de perdre tout contact avec leurs proches... Beaucoup de ces pédophiles présentent le risque d'un passage à l'acte imprévisible et incontrôlé.
J'appelle pédophiles actifs, indépendamment de la présence de passage à l'acte ou pas, ceux qui n'excluent pas d'avoir des relation pédosexuelles. Soit en profitant d'opportunités qui s'offrent à eux, soit en les recherchant intentionnellement (en fonction d'un nombre plus ou moins important de conditions qu'ils décident de poser).
Pour finir cette esquisse de terminologie, il me reste à aborder la question du rapport personnel des pédophiles à leurs attirances. Quand la présence d'attirances pédophiliques est en contradiction avec l'image du moi de l'individu, le plongeant dans des états comme le désarroi, l'angoisse ou la honte, ces attirances sont dites, égo-dystoniques. Lorsque les attirances pédophiliques sont bien intégrées au moi de l'individu, qui les accepte donc comme partie intégrante de lui même, ces attirances sont qualifiées d'égo-synthoniques.
Les actifs sont souvent égo-synthonique, ce qui rend difficile de les convaincre d'être abstinents.
Mais un grand nombre de pédophiles abstinents sont eux aussi en égo-synthonie : le fait d'accepter pleinement leurs attirances comme une part d'eux mêmes leur permet de mieux les gérer et de vivre avec elles d'une façon qu'ils estiment satisfaisante.
En revanche, la grande majorité des pédophiles passifs se trouvaient en état d'égo-dystonie.
Il s'agit d'une situation particulièrement dangereuse, car les troubles découlant de ce dégout de soi peuvent entraîner chez eux des actes désespérés, totalement imprévisibles (suicide, viol, meurtre...).
Souvent les pédophiles passifs ont vécus pendant des années dans le refoulement de leurs attirances.
Pourtant un peu comme dans un vase qui se remplit progressivement et finit par déborder, celles-ci finissent par réapparaitre au niveau de la conscience , le plus souvent sous la forme de rêve érotique. Le pédophile passif prend alors peur d'une réalité qu'il ne peut plus se cacher, ni fuir. Dédramatiser la présence d'attirances pédophiliques est une première étape essentiel du désamorçage, faire passerla personne d'un état d'égo-dystonique et d'instabilité psychologique à un état d'égo-syntonie et de stabilité, nécessaire à la prise de recul).
Une question revient souvent : comment devient-on pédophile, quelles sont les origines?
La cause qui revient souvent est celle d'un abus précoce : le pédophile ne ferait alors que reproduire le schéma dont il fut originairement la victime. Ce type de situation existe mais ne semble pas représenter la majorité de tous les cas (tout de même près de 40% de ceux que j'ai pu rencontrer).
Je tiens à rappeler au passage que tous les enfants abusés ne deviennent pas pédophiles.
La majorité des agresseurs ayant eux mêmes été abusés durant leur enfance sont ceux qui en avaient éprouvé du plaisir en dépit de leur absence de consentement (certains avaient honte de ce plaisir).
De façon plus générale, les abandons, les pertes affectives, les pertes de repères, la mauvaise qualité des relations entre parents et enfants forment un terreau propice au développement des attirances pédophiliques.
Il ne faut pas oublier que tous les pédophiles ont d'abord été des enfants, que c'est souvent dans leur enfance que s'enracinent leurs attirances, et que malheureusement certains des enfants d'aujourd'hui deviendront les pédophiles de demain.
Les témoignages de pédophiles sont révélateurs de la diversité des attitudes et des approches.
Assumer le statut de pédophile n'est pas chose aisée, surtout lorsque l'on a exclu d'emblée d'avoir des relations sexuelles avec des enfants, comme Michel. Une fois que l'on a pris conscience de l'inutilité, voire de la nocivité, d'une lutte contre soi-même vient parfois le désir d'apprendre à s'accepter tel qu'on est, en évitant de succomber à la tentation angoissante du passage à l'acte comme Stéphane. Mais parfois ce sont aussi des leçons de la vie qui motivent le choix de l'abstinence et permettent la prise de recul, en l'absence de conflit intérieur majeur comme Arnaud.
On peut alors choisir d'oeuvrer dans le sens de la prévention comme pour Mickael et Samuel. S'agissant du désir pédophilique et de son devenir, certains pédophiles constatent que c'est seulement après avoir cessé de lutter contre celui-ci et en s'acceptant pleinement comme un tout qu'ils voient évoluer leur sexualité vers des formes socialement acceptables comme pour Samuel. Parfois, la page est même définitivement tournée, par exemple dans le cadre d'une vie de couple comme pour Patrice.
Certains pédophiles abstinents qui s'assument pleinement me contactent pour m'exposer les mécanismes qu'ils ont mis en place dans leur vie afin de mieux gérer leurs attirances pédophiliques sans déraper, sans souffrir et sans forcément utiliser de supports visuels. Ils souhaitent apporter un soutien et une espérance aux jeunes pédophiles qui découvrent leur orientation sexuelle, pour les encourager à ne pas se replier sur eux-même dans la souffrance et la honte.